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Une des voies nécessaires pour sortir de la crise :
les pays en développement doivent avoir la possibilité de participer à la gouvernance économique et financière mondiale
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José A. SEQUEIRA CARVALHO
Professeur à l'Institut Supérieur d'Economie et Gestion
Université Technique de Lisbonne
La crise financière actuelle est loin de devenir un handicap pour les nations en développement, une fois qu'il est prévu que celles-ci, suite aux nécessaires restructurations dans le système financier international, auront, à l'avenir, une beaucoup plus grande participation et un plus grand poids dans la gestion des institutions qui gouvernent la globalisation économique. Ainsi, la Chine, l'Inde, le Brésil, la Corée du Sud et encore un certain nombre d'autres pays "émergents" seront appelés à exercer une plus grande influence sur la façon dont sont gérées les institutions économiques multilatérales et, de ce fait, ils seront dans une meilleure position pour promouvoir des reformes structurelles du système économique et financier international allant dans le sens de la prise en compte de leurs intérêts.
Existent deux raisons pour cela, qui sont liées entre-elles. En premier lieu, la crise financière a affaibli les Etats-Unis et l'Union européenne. De ce fait, ces deux entités ne voudront plus ou ne pourront plus continuer à assumer le type de leadership qui a soutenu le multilatéralisme dans les décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale. Les nations en développement devront faire un pas en avant afin de colmater cette lacune.
En deuxième lieu, le poids et l'importance relatifs des nations en développement dans l'économie mondiale ont augmenté d'une façon substantielle depuis la deuxième guerre mondiale. La plupart des principales institutions financières occidentales, aussi bien qu'un certain nombre d'entreprises importantes du secteur industriel, vont continuer à être à la portée des capitaux de la Chine et des Pays du Golf. En termes commerciaux, l'actuelle ronde de négociations globales a démontré que si les nations riches veulent que les nations en développement coopèrent, elles devront accepter une nette reformulation des règles du jeu du système économique mondial.
Pour tirer le meilleur parti de ce nouveau scenario, les nations en développement devront savoir définir clairement leurs intérêts et leurs priorités. Dans cette perspective, que devront-elles chercher à obtenir ?
En premier lieu, elles devraient faire pression pour que soient appliquées de nouvelles règles pouvant réduire la probabilité d'apparition de nouvelles crises financières et, qu'au cas où ces crises surviendraient, que leurs conséquences soient moins sévères pour les populations et pour les pays en développement. En effet, quand les marchés financiers globaux sont laissés à leurs mécanismes propres, ils ont une propension à accorder, dans les périodes fastes, trop de crédits à un prix trop réduit et très peu de crédits dans les périodes plus difficiles. Or, la seule réponse efficace réside dans une gestion des crédits de manière contre-cyclique, pour décourager les emprunts étrangers dans les phases d'expansion économique et éviter les fuites de capitaux dans les phases de dépression économique.
De ce fait, au lieu de refuser l'idée d'un contrôle des capitaux et d'appeler à l'ouverture financière, le Fonds Monétaire International devrait plutôt aider d'une façon active ces pays à mettre en œuvre de telles politiques. Il devrait aussi élargir ses lignes de crédit d'émergence pour agir davantage en tant que préteur en dernier ressort auprès des nations en développement atteintes par la crise financière.
Par ailleurs, la crise actuelle constitue une opportunité pour réussir à avoir une plus grande transparence sur tous les fronts du système économique international, y compris au niveau des pratiques bancaires dans les pays riches qui facilitent l'évasion fiscale dans les pays en développement. Les citoyens riches du monde en développement pratiquent annuellement une évasion fiscale supérieure à 100 milliards de dollars dans leurs propres pays, à travers des comptes bancaires à Zurich, à Miami, à Londres ou dans d'autres places financières. Les gouvernements des pays en développement devraient pouvoir solliciter et recevoir de l'information sur les comptes bancaires de leurs citoyens.
Les nations en développement devraient aussi promouvoir l'application de la taxe Tobin - un impôt sur les transactions financières globales en monnaie étrangère. Une fois fixé à un niveau modeste - mettons 0.25%, un impôt avec ces caractéristiques aurait peu d'effets négatifs sur l'économie globale et pourrait même constituer une source considérable de recettes applicables dans le financement du développement des pays. Dans la pire des hypothèses, les coûts d'inefficacité de l'application d'une telle taxe seraient nuls; dans le meilleur des cas, cet impôt jouerait le rôle de frein sur la spéculation financière à court terme.
Les recettes obtenues - qui facilement pourraient monter à des centaines de milliards de dollars par an - pourraient être investies dans le financement de biens publics globaux, comme : l'appui au développement, l'accès à des vaccins contre les maladies tropicales endémiques et la promotion de l'usage de techniques plus respectueuses de l'environnement dans les pays en développement. Les difficultés administratives associées à la mise en œuvre de la taxe Tobin ne sont pas insurmontables, si tous les grands pays développés se mettent d'accord. Il serait alors possible de réussir à obtenir que les centres financiers " off-shore" coopèrent à l'application de cette taxe, sous la menace d'être isolés.
Les pays en développement nécessitent aussi de garantir une mise en œuvre effective de l'approche en termes "d'espace de planification de politiques" avancée par l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L'objectif serait d'assurer que les nations en voie de développement réussissent à mettre en œuvre le type de politiques commerciales et industrielles nécessaires pour restructurer et diversifier leurs économies et se doter d'un cadre propice à la croissance économique. Tous les pays qui ont réussi leur globalisation ont eu recours à ce type de politiques, dont la plupart (comme par ex. les subsides, les règles d'origine pour les produits nationaux, la fabrication nationale plus facile de produits brevetés) ne sont pas actuellement permises par les normes de l'OMC.
L'approche en termes d'espace de planification de politiques est aussi nécessaire pour garantir que la poursuite des objectifs sociaux et politiques qui sont importants pour les pays – comme par ex. celui de la sécurité alimentaire - soit compatible avec les normes internationales du commerce. L'argument des nations en développement devrait être que la reconnaissance de ces réalités économiques et politiques ne nuit pas au régime commercial global et ne favorise pas le protectionnisme; cette reconnaissance favorise plutôt un système économique global plus sain et plus durable.
Toutefois, l'accroissement du pouvoir des pays en développement dans l'économie mondiale doit s'accompagner d'un accroissement de leurs responsabilités. Ainsi, les nations en développement devront se monter plus ouvertes et plus réceptives à l'égard des préoccupations sociales et politiques légitimes des pays développés qui sont disposés à contribuer au financement des dépenses de certains des biens publics globaux. Les pays en développement qui exportent des capitaux devraient être disposés à accepter une plus grande transparence dans le fonctionnement des fonds souverains et se compromettre à ne pas les utiliser à des fins politiques. Les plus grandes nations en développement – la Chine, l'Inde et la Russie - vont devoir, par ailleurs, assumer une part de la responsabilité dans la réduction des émissions de gaz provoquant l'effet de serre.
De la même façon, les nations en développement devront comprendre que la mise en œuvre de l'approche en termes d'espace de planification de politiques est une voie à deux sens. Dans des pays comme les Etats-Unis, ou la classe moyenne a obtenu peu de bénéfices de la globalisation au cours des 25 dernières années, la politique commerciale sera soumise à une forte pression pour que cette situation soit, d'une certaine façon, inversée. Dans cette perspective, le Président Barack Obama a fait de la lutte pour la récupération du pouvoir d'achat des classes moyennes un des thèmes centraux de sa campagne électorale. Tout dernièrement, son principal conseiller économique, Larry Summers, a évoqué les effets nuisibles de la globalisation pour les travailleurs.
Dans cette perspective, il ne semble pas très fructueux que les pays en développement continuent à agiter le spectre du protectionnisme des pays riches chaque fois qu'ils sont confrontés à ce type de préoccupations. Le réalisme politique de la part des pays en développement exige un abordage plus coopératif et plus nuancée de leur part dans les négociations. Ainsi, les pays en développement devraient refuser le protectionnisme commercial direct, mais ils devraient aussi être disposés à négocier pour éviter des disputes sur des sujets de régulation dans des domaines comme les normes de travail et les impôts sur les sociétés. Ce qui est dans leur propre intérêt à long terme. Sans l'appui des classes moyennes des nations riches, il sera difficile de maintenir un régime commercial international aussi ouvert que celui que nous avons eus au cours des dernières décennies.
Amener les pays émergents à participer à une gestion coordonnée du système financier international
La crise financière actuelle est en train de devenir une vraie dépression économique au niveau mondial.
Le principal ressort de cette crise financière réside fondamentalement dans la perte de confiance entre les banques provoquée par la crise des "subprimes". Cette perte de confiance bloque les circuits de prêts et des échanges interbancaires. Ce blocage constitue le principal facteur de risque qui peut conduire à la dépression économique, car les banques n'ont plus de liquidité suffisante pour financer les activités de l'économie réelle.
Il faut donc assainir le système bancaire international et rétablir le bon fonctionnement des relations interbancaires.
Pour cela, il faut à la fois augmenter et améliorer: la transparence, la supervision et le contrôle du fonctionnement des banques au niveau international.
Dans un monde financier globalisé, l'assainissement et la sécurisation des relations interbancaires internationales exige des actions coordonnées entre les autorités financières des Etats.
Il sera nécessaire de mettre sur pied un système efficace d'observation et de contrôle des activités bancaires au niveau international.
La participation et la coopération des pays du sud et surtout des pays émergents dans ce système de contrôle est essentielle, car aujourd'hui les principales sources d'épargne, et de ce fait, le plus gros volume de ressources financières disponibles, pouvant être utilisées pour débloquer le système et relancer l'économie mondiale, se trouvent dans les pays émergents et non dans les pays occidentaux.
Il est donc nécessaire de mettre en œuvre un système multilatéral de coopération et d'action concertée au niveau du système financier mondial.
Dans cette perspective, une augmentation du pouvoir des pays émergents dans les institutions financières internationales nous semble incontournable, pour réussir à mettre sur pied une coordination et des actions concertées efficaces, entre les pays du nord et ceux du sud au sein du système financier international.
Faut – il pour cela organiser un nouveau Bretton Woods, comme le préconisent certains chefs de gouvernement de pays du sud ?
Bruxelles, novembre 2009